Pour répondre aux problèmes financiers et démocratiques qu'elle traverse, l'organisation qui préside aux destinées de l'Internet doit se réinventer. C'est presque chose faite depuis l'adoption à l'unanimité par le conseil d'administration d'un projet de réforme. Mais sa mise en application n'ira pas sans heurts, compte tenu des critiques dont ce texte a fait l'objet toute la semaine.
"Nous avons encore beaucoup à faire dans les temps intéressants que nous vivons". Ces mots de John Postel, le fondateur de ce qui n'était pas encore l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann) — que certains des participants de la réunion trimestrielle de Bucarest arboraient encore fièrement sur des T-shirts —, n'ont jamais eu autant de sens.
La société californienne qui préside depuis quatre ans aux destinées du Net doit en effet rapidement passer à l'action tant les sujets de débat semblent nombreux. Depuis l'appel de Stewart Lynn (voir www.icann.org/general/lynn-reform-proposal-24feb02.htm) affirmant que "le concept actuel de l'Icann ne peut plus fonctionner", des dizaines d'avis ont été soumis par de nombreux acteurs de la communauté Internet : autorité d'enregistrement de noms de domaine (registres), association d'utilisateurs... La plupart ont participé en voyant là l'occasion de réformer un système dans lequel ils se reconnaissent de mois en moins (voir Interview de Paul Kane).
Comme le dit Timothy Denton du CIRA, le registre canadien, "Les utilisateurs et les vendeurs de noms de domaine ont de réels problèmes de fonctionnement et doivent se débrouiller tout seuls. Pourtant, c'est dans ce cas-là que l'Icann pourrait être utile, comme elle l'a déjà prouvé en mettant en place l'UDRP pour la protection des marques en matière de noms de domaine". Alors, l'Icann en fait-elle trop ou pas assez ? Publié seulement deux jours avant l'ouverture des débats, le document censé synthétiser les différentes propositions a en tout cas cristallisé les critiques. "Le projet n'est qu'un moyen pour l'Icann de continuer à faire sensiblement la même chose en se donnant des airs de réformes". Si le propos, énervé et anonyme recueilli dans les couloirs du Marriott auprès d'une figure de l'Internet européen est sans doute à nuancer, il faut reconnaître par exemple que le document insiste d'entrée sur la légitimité qu'a l'Icann pour établir de nouvelles réglementations, y compris dans les communautés Internet locales, ce que contestent toujours les registres nationaux (ccTLDs).
En outre, les représentants des gouvernements qui, au sein du Governmental Advisory Committee (GAC), avaient pu croire en lisant la lettre de Stuart Lynn que leur rôle allait prendre une part plus active, en seront pour leurs frais puisqu'il ne leur est accordé qu'un siège sans droit de vote au sein du conseil d'administration de l'Icann. Par ailleurs, les registres se sont prononcés contre le paiement de la dîme de 25 cents prélevée par l'Icann par domaine enregistré. Et les vendeurs de noms de domaine eux-mêmes ? Sam Bavafa, président du "registrar" niçois Domaine.fr, répond : "La réforme semble nécessaire, mais nous ne sommes pas impliqués dans la relation entre le registre et l'Icann. S'il y a une 'taxe' à payer, elle ne le sera pas à notre niveau".
S'il le projet a subi des critiques, certaines avancées sont à saluer, notamment la prise en compte d'une organisation représentant directement les registres nationaux qui était réclamée depuis longtemps, ainsi que le retour de la notion de "comité @large" représentant directement les utilisateurs d'Internet. On sait que cette dernière idée n'en finit pas de prendre forme après plusieurs années de travaux et on ne peut qu'espérer qu'elle soit enfin une réalité tangible.
Ces bons points suffiront-ils à faire avaler la pilule ? Comme le confiait, hier, un acteur reconnu de la communauté Internet européenne, "nous savons que si l'Icann disparaît, nous nous retrouvons à négocier directement avec le gouvernement américain, ce qui serait pire que tout. Au moins la structure actuelle permet-elle de dialoguer, même si nous ne sommes pas toujours entendus !".
Et, paradoxalement, le test important pour l'Icann n'aura pas lieu cette semaine mais en septembre. C'est en effet ce mois-là que le Department of Commerce (DoC) du gouvernement américain doit décider s'il renouvelle sa confiance à l'Icann pour prendre en charge les aspects techniques et politique de l'Internet. Il était donc primordial pour l'entreprise californienne d'aller de l'avant. Les déçus de ces journées, eux, se consoleront en pensant que toutes les actions entérinées par le conseil d'administration n'ont pas toujours été suivies d'effet... Beaucoup de choses peuvent se passer avant la prochaine réunion prévue à Shanghaï, en octobre !
Source : Jean-Christophe Vignes
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