A la découverte de l’Immobilier Virtuel

Par Rémy Sahuc, Directeur des Opérations Marchés Francophone et Asiatique

Imaginez... les Terriens se sentent un peu à l’étroit sur leur planète et décident d’aller voir si l’herbe est plus verte sur la Lune. Les meilleurs emplacements restent encore à trouver, mais l’espace, en tous cas, y semble illimité. Poussés par des envies d’espace et de nouvelles opportunités d’affaires, des milliers de terriens quittent peu à peu notre Vieille Planète pour se lancer dans l’immobilier sur la Lune. Mais qu’y valent réellement les titres de propriété ? Qui régule les acquisitions sur ces terres nouvelles ? Comment s’y organisent les échanges ?

Ce sont le type de questions qui se sont posées pour le second marché des noms de domaine il y a quelques années. Lorsque le marché de l’immobilier virtuel en était à ses balbutiements, personne n’aurait bien entendu misé un sou sur le cyber-espace pour la bonne raison qu’il n’existait pas. Mais lorsqu’Internet est devenu une réalité, il s’est rapidement établi comme un nouveau terrain d’application pour des modèles économiques du marché immobilier.

États-Unis, début du 19ème siècle. Le marché de l’immobilier fait ses premiers pas. Soucieux de remplir ses caisses et de distribuer des richesses, le gouvernement américain met en vente des milliers d’hectares de terrain. Mise à prix : 3 dollars pièce. Une somme rondelette, à l’époque ; à peine de quoi s’offrir un café chez Starbucks de nos jours. Conséquence logique, les terrains se concentrent aux mains des investisseurs les plus puissants. C’est alors qu’apparaît le « Free Soil Movement », qui réclame un nouveau système d’attribution des terres plus équitable. En 1862, le « Homestead Act » est voté et ouvre les portes à une distribution gratuite des terres, en partant du principe que leurs nouveaux propriétaires en feraient monter la valeur avec le temps – de la même manière que le propriétaire d’une villa, de nos jours, en ferait grimper la valeur en aménageant une piscine. Cette pratique, par laquelle le gouvernement américain a distribué gratuitement environ 150 millions d’hectares de terrain, s’est poursuivie jusqu’à la fin du 19ème siècle. Jusqu’à ce qu’un second marché se développe de manière naturelle, et que les propriétaires de la première génération cèdent leurs biens à d’autres. Bien sûr, le marché de l’immobilier tel qu’on le connaît aujourd’hui s’est considérablement complexifié, mais les modèles de base sont restés fondamentalement inchangés. Quiconque serait un minimum familier avec le marché des noms de domaine devrait rapidement faire le rapprochement…

États-Unis toujours, milieu des années 80. Nous sommes le 15 mars 1985, pour être exact. Le nom de domaine symbolics.com est l’un des tout premiers .com enregistrés*, marquant le début d’une époque durant laquelle le gouvernement américain distribuera les noms de domaine gratuitement. Jusqu’à ce que s’élèvent les premières voix pour demander une régulation des attributions, en réponse de quoi sont créés l’ICANN d’une part, et la hiérarchie registres/registrars bien connue aujourd’hui d’autre part. Ca vous rappelle quelque chose ?

Ce qui fait la particularité du marché des noms de domaine est la quasi-infinité de terrains disponibles. Bien sûr, en poussant les calculs à l’extrême, on pourrait imaginer qu’une fois épuisées les dizaines de milliards de possibilités en termes de combinaisons de caractères, une extension donnée arrive à bout de souffle. Mais voilà, de nouvelles extensions sont créées ou libéralisées régulièrement. Que ce soient des gTLDs (.net, .org ou plus récemment .mobi) ou des ccTLDs (.de, .fr ou .plus récemment .gw). Mais le marché des noms de domaine, contrairement à celui de l’immobilier américain, ne peut pas se targuer d’une histoire vieille de plusieurs centaines d’années. Ce qui constitue d’ailleurs une bonne raison de ne pas s’aventurer dans des comparaisons trop hasardeuses entre les deux marchés. Toutefois, certaines ressemblances ne trompent pas.

En tant que première extension introduite sur le marché, il est plutôt logique que le .com se soit imposé parmi les experts et le grand public comme LA référence mondiale sur Internet. Et donc l’extension ayant le plus de valeur. Initialement destinée à un usage commercial, le .com s’est établi au fil du temps comme le symbole de l’Internet dans toutes ses applications. Sans cesse plus prisée, l’extension a naturellement gagné en cachet. Un nom de domaine en .com composé d’un seul mot de la langue anglaise est dans l’immobilier virtuel ce que la plus belle villa à Beverly Hills est dans l’immobilier réel. Certes, la plupart des consommateurs de noms de domaine se rabat en réalité sur du second choix lorsqu’elle constate que ces perles sont parties depuis bien longtemps déjà. Mais le second choix d’il y a 10 ans a acquis un tout autre statut aujourd’hui. Là encore, la ressemblance avec l’immobilier est bien réelle : les campagnes en périphérie de ville étaient délaissées il y a quelques dizaines d’années. Aujourd’hui, celui qui rêve d’un coin de verdure aux abords d’une grande agglomération doit la plupart du temps débourser une petite fortune. De même, que valait une maison sur la Riviera quand les congés payés n’existaient pas ? Pas grand chose pour celui qui n’avait pas le plaisir d’y vivre. Depuis quelques années pourtant, les agences immobilières et les particuliers se les arrachent, misant sur les plus-values sur le long terme.

Pour une boutique, un carrefour ultra-fréquenté dans un quartier commerçant est un emplacement de premier choix. Une rue noire de monde les samedis est en effet la garantie que des visiteurs – et pas seulement ceux qui étaient spécialement venus dans cette optique – passent le pas de la porte. Un nom de domaine générique associé à une extension reconnue peut conférer à un site marchand un potentiel similaire. Toutefois et si l’on introduit désormais le facteur marketing, un nom de domaine – de la même manière qu’un coin de rue a priori moins fréquenté mais subtilement mis en avant – peut devenir avec le temps une bonne affaire. Comme pour les lopins de terre distribués gratuitement par le gouvernement américain il y a plusieurs centaines d’années, on peut supposer qu’un titre immobilier virtuel, pour peu qu’on y investisse le temps et l’argent nécessaires, puisse devenir un bien hautement prisé.

Ceci étant, les biens immobiliers ont avant tout une valeur intrinsèque, matérialisée au fil du temps par des caractéristiques connues et reconnues : l’emplacement, le confort et le panorama en sont des exemples. Oui mais voilà, le marché de l’immobilier a derrière lui de nombreuses et surtout précieuses années de maturation qui l’ont rendu plus accessible au commun des mortels. Des systèmes de régulation solides ont été mis en place, et les pratiques associées sont devenues familières au grand public. En dépit de fluctuations occasionnelles, le marché de l’immobilier est plutôt stable. Le marché des noms de domaine n’a pas encore ce luxe. En d’autres termes, il arrive parfois de voir de tout et de n’importe quoi. Des pépites vendues pour une bouchée de pain, et des navets pour une fortune. Le marché en est à ses balbutiements.

Prenons le .mobi, par exemple. L’extension étant nouvelle, l’excitation est à son comble. La spéculation est élevée, les investisseurs s’emballent, les prix et les volumes augmentent. Mais bien malin qui pourrait dire quelle est la valeur d’une extension dont l’existence est basée sur le seul marché de l’affichage de contenu Internet sur les téléphones portables. A première vue, les perspectives sont bonnes. Des milliards de consommateurs sont équipés de téléphones portables et/ou d’Internet, et des milliards restent encore à équiper. Il suffirait d’une étincelle… oui mais voilà, cette étincelle viendra-t-elle et si oui, viendra-t-elle au bon moment ?

En découle une question essentielle à se poser pour quiconque souhaite investir dans les noms de domaine : quel type de placement est le plus judicieux ? Un nom de domaine dont la réussite tout entière reposera sur un tour de force marketing (exemple : dailymotion.com) ou une résidence de premier choix sur un boulevard fréquenté (exemple : jeux.com) ? Difficile à dire, mais avec un minimum de recherche (des outils en ligne tels que archive.org ou alexa.com offrent d'excellentes ressources), même les domainers les moins expérimentés peuvent comprendre les facteurs qui déterminent la valeur des noms de domaine. Par ailleurs, il existe des intermédiaires dont l'expérience sur un marché de l'immobilier virtuel en perpétuelle évolution peut s'avérer très précieuse.

Comme pour tout phénomène relativement nouveau, la route est semée d'incertitudes. Toutefois, le marché des noms de domaine a besoin de pionniers prêts à prendre des risques et à miser sur l'avenir. Et qui sait, peut-être que dans quelques années, c'est le marché de l'immobilier qui s'inspirera de référentiels issus du marché des noms de domaine. Dans la mesure où ceux qui se tournent vers l'immobilier virtuel pour présenter leurs produits, leurs services, voire se présenter eux-même sont de plus en plus nombreux, les prix vont tendre vers une stabilisation. Et peu à peu, un ensemble de facteurs de valorisation va se dégager de manière naturelle. Cette consolidation amènera transparence et lisibilité, le marché tout entier devenant ainsi plus facile à comprendre et à appréhender. Il n'y a pas si longtemps, l'homme marchait sur la Lune...

* la liste complète des 100 premiers noms de domaine déposés est disponible ici : www.jottings.com/100-oldest-dot-com-domains.htm